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EsseJi 23/01/2011 16h20

Requiem pour un code
 
21 janvier 2011, le couperet tombe: Archie Comics, le dernier éditeur à encore utiliser le Comics Code Authority, abandonne l'organisme d'auto-censure de l'industrie du comic book. Une semaine après que DC ait fait la même chose, voilà le code enfin reconnu obsolète. Depuis sa création dans les heures sombres du MacCathyrsme, à ses tentatives de le contourner jusqu'à l'adoption par les éditeurs de codes internes pour avertir ses lecteurs du contenu de leurs revues, le comics code authority faisait partie du paysage du comic book, à un tel point qu'on l'avait complètement occulté, il faisait partie d'un paysage qu'on a l'habitude de regarder et dont on ne voyait plus les détails. Une petite mort pour ce qui était à la base une grande révolution dans la censure de la bande dessinée américaine.


1954: une autre époque, d'autres mœurs. Faute de pouvoir ouvertement combattre dans le monde ceux qui mettaient en péril le modèle américain, les Etats Unis se sont focalisés sur la défense de certaines valeurs sur leur sol. A l'issue d'une campagne politique qui sera soutenue par le sénat, l'industrie du comic book a été rattrapée dans son élan d'expansion par une ligne directrice de pensée régulée. Tout était réuni pour que les opposés se rencontrent dans un fracas de combats d'idées. D'un coté le comics dit dépravé, représenté en majorité par William Gaines et sa boite EC comics et de l'autre les bien-pensants menés par le docteur Fredric Wertham et son Seduction of the Innocent. Même si la création du Comics Code Authority découle directement des thèses défendues par ce dernier il déclarera publiquement qu'il n'était pas satisfait par celui-ci, car le CCA sera encadré par les éditeurs eux-mêmes. En effet, il fut créé dans l'optique d'un mal pour un bien. Craignant une trop grande main mise du gouvernement sur l'industrie et ne pouvant lutter contre l'anti-comics primaire qui s'était installé dans l'esprit des américains, les éditeurs ont été contraints de se réunir en comité et de définir eux-mêmes les contours d'une auto-censure qui cadrait avec les attentes des politiques.


Ainsi les comics de l'époque ont été dépouillés de leur substance: adieu les histoires d'adultère, plus de policiers morts pour que le crime paye, au placard de l'imagination collective vampires, loups garous et autres goules. Au final si on parle d'amour ça sera avec un grand A. Le bien, même si relatif comme valeur, doit toujours l'emporter face au mal tout aussi relatif .Et on banni les mots Terror ou Horror des titres. Une autre époque comme je disais au début de ce paragraphe quand on sait comment sont vu aujourd'hui comme de véritables classiques les comics abordant tous ces thèmes interdits, notamment ceux de EC, Tales from the Crypt en tête.
Voilà donc les éditeurs contraints de s'auto-censurer mais surtout de revoir entièrement leur catalogue. On le sait aujourd'hui, pour ne pas mourir l'industrie devait chercher de nouveaux concepts ou alors en dépoussiérer certains. C'est ce qu'a fait Julius Schwartz chez DC en relançant le genre super-héros à partir de Showcase #4 en 1956 avec l'apparition d'un nouveau Flash. A partir de là le genre super-héros renait de ses cendres et le silver age prend son envol. L'ironie de l'histoire veut que sans le code tout cela n'aurait peut-être jamais eu lieu.
Autre point positif apporté indirectement par cette censure: le développement du comics dit Undergound. Distribué directement par les auteurs par un réseau sous terrain, ils n'étaient pas considéré comme de «*vrais*» comics en opposition à ceux distribués par les éditeurs qui avaient pignon sur rue. Ainsi tous les thèmes interdits par le code et bien d'autres ont pu trouver un terrain dans les pages de ces premiers indés qui n'étaient pas concernés par le CCA. Heureusement car la société américaine allait aborder une métamorphose avec les mouvements des droits sociaux des femmes et des afro-américains. Deux classes de sous citoyen qui pour les premières étaient reléguées à des rôles de femmes au foyer écervelées et pour les derniers ils ne pouvaient prétendre à être représentés comme personnage principal d'une histoire, une des règles du code.
En fait une censure quelle qu'elle soit, fini toujours par être détournée, et à son insu engendre des situations inédites qui ne seraient peut-être jamais arrivées sans elle. Un autre exemple est celui des crédits des auteurs chez DC. Dans House of Mystery #83, l'hôte de la série d'anthologie annonce une histoire qui lui a été contée par un homme loup, et comme je l'ai indiqué plus haut pas de loup garous dans les pages des comics, sauf que là le Wolfman en question était le scénariste, prénommé Marv. C'est Gerry Conway qui parti à la défense de son collègue en expliquant au comité du CCA qu'il s'agissait de crédits à l'histoire. Ainsi pour éviter d'autres confusions à l'avenir c'est à ce moment que DC a décidé de créditer les auteurs de ses histoires alors qu'auparavant cela ne se faisait que très rarement.


Le code subit sa première métamorphose en 1971 quand enfin les termes vampires et autres créatures mythologiques ont enfin pu réintégrer les pages des illustrés. L'argumentation était assez simple, ces personnages existaient au delà des pages des comics, ils étaient déjà des canons de la littérature qui étaient enseignés. Touché par ce raisonnement le CCA lâcha un peu de leste sur Dracula, Frankenstein et consorts, seuls les zombies étaient encore interdits, on parlait alors de zuvembie à la place, notamment au sujet du personnage de Wonder Man chez Marvel.
La même année le code s'est heurté à son premier paradoxe. C'est à ce moment que Marvel a été commandité par le département d'état à la jeunesse et à la santé pour publier une histoire sur les méfaits des drogues. DC avait déjà effleuré le sujet dans une aventure de Deadman en 1967, le CCA avait donné son accord, car il s'agissait d'une histoire où le héros combattait un dealer. Ce qui était interdit par contre était le fait de montrer l'usage de stupéfiants par des personnages. Mais Stan Lee, à qui son éditeur Martin Goodman avait donné le feu vert suite à la commande de l'état, voulait écrire son histoire avec des prises de drogues et son influence sur la psyché, même si cela reposait sur des clichés. Quand la première partie de cette histoire en trois est parue dans Amazing Spider-Man #96 le CCA s'est retrouvé bloqué. D'un coté Marvel ne faisait que répondre à une demande de l'état mais de l'autre cette demande était en contradiction avec une des règles du code. L'administrateur du code s'est donc fait porté malade le jour où le comité devait débattre de l'aval ou pas envers cette histoire, c'est donc son suppléant John Goldwater qui était l'éditeur en chef de Archie à l'époque qui refusa le port du sceau sur le comics et donc son interdiction d'être distribué. Se sentant pousser des ailes car commandité par le département d'état à la jeunesse et à la santé, Lee et Goodman sont passé outre cette interdiction et le premier comics sans le sceau du CCA depuis 1954 paru tout de même. Chez le Distingué Concurrent on a mal pris cette initiative qui bafouait l'unité du CCA voulue par tous les éditeurs signataires. Eux aussi voulaient parler des torts de leur époque, ce qui a poussé le code a être revisité, désormais on pouvait parler de l'usage de drogues mais si et seulement si les utilisateurs étaient présentés comme ayant une «*mauvaise habitude*». Ainsi avant la fin de 1971, Green Lantern/Green Arrow #85 était dans les newstands et le sidekick de Green Arrow: Speedy, devint accro aux drogues dures. Le tout avec l'accord du CCA.


La boite de pandore était donc ouverte. La suite des années 70 et jusque les années 2000 ont vues le CCA se faire rogner, égratigner pour enfin être abandonné définitivement. Un exemple: en 1986, DC parle de masturbation dans les pages de Elvira's House of mystery, le comics sort sans code, alors que le précédent et le suivant l'ont. En 1989 c'est l'obligation de représenter les homosexuels sous tous les pires clichés possibles et imaginables qui tombe.
Les nouveaux éditeurs qui arrivent sur le marché ne s'encombrent même pas du code, ainsi des éditeurs qui sont devenus des instances comme Dark Horse ou Image n'ont jamais eu recourt au CCA. Le gros coup porté au code a été porté en 2001 par Marvel au début de l'ère Quesada, désormais l'éditeur a son propre code inspiré de celui du cinéma et certains de ses titres qui se vendent le mieux comme Alias soutiennent la ligne pour adultes Max où le sexe, les injures et l'ultra violence sont devenus monnaie courante.
Il aura fallu dix ans de plus pour que l'autre big two abandonne le code, bien que présent il en était devenu si petit sur les couvertures qu'on ne le voyait plus, un vestige qui s'estompe. Ainsi quand mi-janvier 2011 DC s'est distingué en copiant son concurrent et ainsi propose désormais son propre code. Il ne restait plus qu'Archie Comics pour entretenir le dinosaure de la censure, l'éditeur s'est enfin décidé à partir de février d'abandonner le CCA. Une page est tournée.


Désormais on vit à une époque où le comics se défend contre toute forme de censure avec entre autre le CBLDF qui milite dans ce sens. Le fait est que la majorité des lecteurs de comics de nos jours sont de jeunes adultes, à qui on ne vendra pas d'histoires trop aseptisées. Le marché a eu donc raison de la censure. On se souviendra avec tendresse de ce petit logo que l'on doit au créateur d'autres logos mythiques comme ceux de Action Comics et l'emblème rond étoilé qui fut celui de DC pendant 30 ans. Ce petit sceau témoin d'une époque, que l'on aborde dorénavant sur des t-shirt comme celui du explicit lyrics de l'industrie du disque comme pour se moquer des esprits étriqués. Je ne vais pas dire qu'il va nous manquer mais c'est un pan de l'histoire du comic book qui se referme avec la disparition du Comics Code Authority.

kael 23/01/2011 16h36

Alléluia !

PSYCHO PIRATE 23/01/2011 16h52

Les comics Marvel datés d'octobre et de novembre 1983 n'ont pas l'estampille sur les couvertures. On la retrouve sur les numéros à partir de décembre. Il me semble que c'était un signe de protestation mais je ne suis plus très sur.

scarletneedle 23/01/2011 16h59

SJ est un grand sensible...

CYRIL 23/01/2011 17h29

Très bon article SJ^^

Et notre loi de 1949 à nous??
C'est assez risible d'acheter une revue aujourd'hui qui est encore soumise à cette loi mais qui arbore sur sa couverture un logo"pour lecteurs avertis" mais je suppose que Panini garde ses numeros de la commission paritaire pour des raisons fiscales...(plus avantageuses pour les revues dites "pour la jeunesse".. c'était le cas autrefois....

C.

Tony LETROUVÉ 23/01/2011 17h58

A noter quand m^me que très peu de titres DC continuaient d'arborer le timbre du CCA

EsseJi 23/01/2011 18h22

Citation:

Envoyé par scarletneedle (Message 1127365)
SJ est un grand sensible...

J'étais parti pour écrire une chronique de Planetary quand l'info qui est tombée m'a inspiré. :huhu:

Après l'euphorie de l'idée retombée, j'ai trié un maximum les infos que j'avais, et donc on se retrouve avec un texte qui traite des grandes lignes, sinon j'y serais encore à cette heure... :D

Sinon j'ai hésité à poster ce sujet dans Discussion, d'ordinaire pour les sujets de fond je les mettais dans Hall of Heroes jusqu'au moment où quelqu'un (je ne sais plus qui) m'a dit que ce n'y était pas sa place. C'est dommage qu'il n'y ait pas un espace réservé pour ce genre d'articles qui n'est ni une critique ou une chronique rétro et non concerne pas un personnage particulier.

Vince2875 23/01/2011 18h33

Encore du bon boulot SJ !

cytrash 23/01/2011 18h38

Tout à fait :flex:

EsseJi 23/01/2011 18h41

:huhu:

Et merci à vous de lire ce boulot. :merci:

doop 23/01/2011 19h08

excellent ! :clap::clap::clap:

Nortock Diab 23/01/2011 19h37

Merci pour l'article, c'est toujours intéressant d'en savoir un peu plus sur ce genre de points.

Benlachips 23/01/2011 19h39

Sj = bg ! :)

gourvy 23/01/2011 19h46

Bravo SJ pour cet article d'une brulante actualitée.

Très belle prose et bien documenté.

Keep it up !

leonidas 23/01/2011 20h13

oui très très bon boulot. :clap:


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